Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

alexandre cohen - Page 3

  • Alexandre Cohen : les années anarchistes (7 et fin)

    Pin it!

     

    ALEXANDRE COHEN

    LES ANNEES ANARCHISTES (7 et fin)

     

    L’exil londonnien

    et les derniers domiciles hollandais

     

    Peu de semaines après la Noël 1893, jour de son arrivée en Angleterre, la ville grise lui ôte de sa superbe et le plonge dans la mélancolie. S’il tient encore au printemps 1894 des propos très tranchés – « L’issue de la lutte, pour moi, n’est pas douteuse : c’est notre chère, notre belle et harmonieuse anarchie, la seule idée vraiment tolérante et libertaire, qui l’emportera par la force et par la raison !... Par la raison surtout !... » (136) –, l’existence prolongée sur la Perfide Albion le conduira rapidement à déchanter.

    Walter Badler, biographie d'E. Henry

    emile-henry.jpgDans ses lettres à F. Domela Nieuwenhuis, il ne cache pas combien il hait Londres, ses habitants, les socialistes anglais ou encore les social-démocrates allemands établis là : ainsi, raconte-t-il dans le chapitre III du premier livre du second tome de ses mémoires, il se rend un jour chez le journaliste Paul Lindemann et lui casse la figure car ce dernier a publié un article infamant à son égard dans Der Sozialdemokrat. (137) La misère noire qu’il partage alors avec la fidèle Kaya le pousse au bord de l’abîme. Jules Chéret offrira à celle-ci sa série des Saxoléines pour égayer leur quotidien londonien.  Quand Cohen traverse de telles épreuves, quand il est sujet à des crises d’asthénie, l’écriture lui devient un calvaire. Tant bien que mal, il tente dans ces années de poursuivre la rédaction des « Lettres parisiennes », puisant ses informations dans la presse française disponible et dans les récits que lui rapportent les nombreux gauchistes qui passent et repassent plus ou moins clandestinement la Manche. Mais ce séjour londonien n’est en aucun cas marqué par la prolixité.

    Après s’être adonné à l’étude de la langue anglaise, il écrit quelques articles pour la revue confidentielle The Torch of Anarchy (en particulier un article dans lequel il prend la défense du condamné Oscar Wilde tout en saluant l’attitude et l’action de Stewart Haedlam, et un autre dans lequel il se montre favorable à l’avortement) créée par les jeunes sœurs Rossetti, derniers drageons d’une grande lignée d’artistes.

    Le réconfort, Alexandre Cohen le trouve auprès de ces jeunes filles, de Bernhard Kampffemeyer qui l’attendait à Londres, et des autres exilés de marque : Louise Michel, Malato, Malatesta, Zo d’Axa, Émile Pouget, Lucien Pissaro... Parmi les anarchistes moins connus, il côtoie l’Allemand Wilhelm Werner, surnommé l’Éléphant, le boulanger français Pateau, l’Anglais Joe Lawrence et sa femme Alice qui sous-louaient une chambre à Zo d’Axa, surnommé quant à lui Zodiac. (138) C’est aussi à cette époque qu’il se lie d'amitié avec le prince Kropotkine et qu’il commence à fréquenter Max Nettlau. Il rencontre de temps à autre ce dernier à la bibliothèque du British Museum : « Nettlau est blond comme les blés et timide comme une vierge de l’époque où les vierges rougissaient encore. Il est une des plus attachantes personnes du “mouvement”, il consacre tout son temps et tous ses moyens limités à l’étude et l’achat de documents : lettres, manuscrits, brochures, livres, etc., provenant de l’anarchiste russe ou portant sur lui, l’auteur de L’Empire knouto-germanique, bête noire et cauchemar de Karl Marx qui l’a combattu et rendu suspect en employant toute la perfidie dont il était capable. » (139) Cohen retrouve aussi parfois Nettlau chez Kropotkine, « l’homme le plus simple et le plus aimable du monde », le seul intellectuel Russe qui n’a pas sa place « dans la galerie ahurissante des possédés de Fédor Dostoïevski ». Il apprécie aussi le « brave et noble » circassien Tcherkessov dont l’horreur de la propriété s’étendait aux adjectifs et pronoms possessifs qu’on emploie facilement en français. (140)

    Chéret3.jpg

    Affiche de Jules Chéret

     

    Mais la brume londonienne va s’épaississant :

    Il n’est pas un endroit au monde où je me suis senti aussi malheureux, aussi déraciné qu’ici, dans cette Londres maudite qui terrasse mon esprit. À cela, il faut ajouter que de bien tristes choses me sont échues ces derniers temps. Pour commencer, l’arrestation de Félix Fénéon, le meilleur ami que je compte à Paris. Le pauvre garçon a d’abord perdu sa place au ministère, simplement parce que des liens d’amitié le liaient à moi. Et voilà plus de cinq semaines qu’il est emprisonné, au secret, sans que personne ne sache quoi que ce soit et lui encore moins. Mon amitié lui a donc porté malheur et j’en suis profondément abattu. Et puis la décapitation d’Émile Henry, lui aussi un de mes meilleurs amis, dont je fis la connaissance à l’époque où il gérait l’Endehors. Je n’ai jamais rencontré homme plus généreux et plus désintéressé que Henry. Il aura au moins goûté la satisfaction d’avoir, avec une marmite, expédié au diable quelque 6 policiers ; le maigre résultat de sa bombe du Terminus doit cependant l’avoir beaucoup peiné. Henry était ce qu’on pourrait appeler “un garçon plein d’avenir” – si on se place au point de vue de la chimie. En ce qui me concerne, je considère son acte – je parle en particulier du dernier – comme ayant plus de poids que celui de Vaillant, bien que je les approuve et les estime utiles tous les deux. L’acte de Vaillant relève de la catégorie des attentats politiques – et c’est pourquoi la “bête masse” les a compris et y a applaudi et des anarchistes convaincus ainsi même que des antisocialistes sont venus répandre des fleurs sur sa tombe. Applaudir à des actes comme celui de Vaillant ne réclame pas une grande dose de révolutionnarisme. De tels actes sont à la portée de toutes les intelligences. (...) L’acte de Henry est, en revanche, et tout comme celui des dynamiteurs du théâtre Liceo, un acte purement social qui reste, pour cette raison, incompris. On le comprendra plus tard, un tel acte emportant avec lui des conséquences plus terribles pour la société bourgeoise. Les bourgeois saisissent très bien cela et les attentats du genre Terminus, Liceo etc. etc. les remplissent d’effroi – infiniment plus que ceux du genre Vaillant. Tous les journaux bourgeois ont dit d’Henry qu’il était “le plus logique, partant le plus terrible des anarchistes”. (141)

    Arrestation d'E. Henry (photo © Roger-Viollet, Paris en Images)

    HenryArrestation.jpgLa « Lettre Parisienne » publiée dans le numéro des 2 et 3 juin de Recht voor Allen et l’article placé dans le numéro des 12 et 13 juin de la même année sont des hommages rendus à cet ami qui lui avait rendu visite à Londres en janvier 1894, non sans lui proposer d’aller poser une bombe chez ses anciens concierges parisiens de la rue Lepic ! Quelques années plus tard, Alexandre Cohen évoquera de nouveau cette forte personnalité dans sa revue De Paradox : « In Memoriam. Voici Aujourd'hui, 21 mai, 4 ans qu’Émile Henry a été décapité à Paris... » (142)

    Durant quelques semaines, Cohen s’échappera de la grisaille anglaise. Pour gagner l’humidité d’un cachot parisien ! Il se rend en effet clandestinement en France au début du mois d’août 1895 – habillé à l’anglaise pour ne pas être arrêté à la frontière puisqu’il a été bertillonné fin 1893 – et se livre à la police : il entend faire réviser la décision qui l’a condamné par contumace une année auparavant. (143) Le 30 août, après avoir été défendu par un avocat radical, maître Desplas, il obtient gain de cause mais est immédiatement réexpulsé du territoire français en vertu de l’arrêté d’expulsion de décembre 1893.

    Entre deux déménagements à la cloche de bois dans les quartiers populaires de Londres, il caresse de nouveaux projets, tous synonymes d’évasion, de lointains horizons. Il envisage ainsi de se fixer au Japon ou en Amérique du Sud, mais la triste réalité matérielle et son attachement à Kaya le dissuadent de franchir le pas. C’est également au cours de cette sombre période qu’il commence à songer sérieusement à créer une revue dont il serait le seul rédacteur. Faute d’un mécène, ce projet échoue dans un premier temps. Il deviendra réalité quelque temps après, aux Pays-Bas : de novembre 1897 à novembre 1898, Cohen mettra en vente sa propre publication bimensuelle, De Paradox.

    CohenDosBrieven.jpgEn 1896, après avoir logé quelques semaines avec Kaya chez Isabel Meredith, Cohen quitte définitivement Londres (il y retourna brièvement la même année pour assister au congrès socialiste au cours duquel il officiera en tant qu’interprète), et s’installe incognito à Amsterdam, grâce à une petite somme d’argent dont il a hérité. Il est toutefois arrêté peu après, peut-être dénoncé par un social-démocrate. La maison d’arrêt sise au Weteringschans l’accueille quelques jours puis il est transféré à la prison de l’Amstelveenscheweg où il purge les 6 mois dont il avait écopé en 1888. Les lettres hebdomadaires qu’il adresse alors à Kaya sont conservées et fournissent un rapport précieux sur ses états d’âme et réflexions à cette période de transition. (144) L’engagement libertaire n’exerce plus sur lui le même envoûtement.

    Une longue querelle avec le médecin (!) de la prison aboutit devant les tribunaux peu après sa libération. Mais il est, tout comme F. Domela Nieuwenhuis – lui aussi mêlé à cette histoire –, relaxé.

    Là s’arrête le parcours du détenu Cohen, le « prisonnier professionnel » comme il a pu lui-même se dénommer dans sa lettre à Kaya en date du 16 août 1896, dans laquelle il ajoute : « Je pourrai en sortant écrire une étude comparative sur le système pénitentiaire dans les différents pays ». S’il se sent mieux traité par les gardiens amstellodamois que par les geôlier français, il n’est pas sans savoir toutefois que l’inconfort des prisons parisiennes, Sainte-Pélagie ou Conciergerie, était souvent oublié par les détenus qui recevaient de nombreuses visites et tenaient même salon : les « réceptions » organisées dans ces cellules par Félix Pyat ou Victor Hugo et évoquées par Théodore de Banville n’étaient pas encore passées de mode quelques décennies plus tard. (145) Cohen se souvient de cette « prison joviale » : « Le régime de Sainte-Pélagie – la prison politique de Paris – n’a rien d’effrayant et ne rappelle en rien la paille humide traditionnelle. Excepté s’en aller, les prisonniers peuvent faire et agir pratiquement comme ils l’entendent et lire, écrire, fumer, manger, boire, recevoir amis et amies, et dormir à volonté. » (146) Dans le premier volet de son autobiographie, il consacre quelques passages aux anarchistes, royalistes, antisémites, antimilitaristes et à l’unique socialiste révolutionnaire détenus là qu’il a connus et qui entretenaient les uns avec les autres des liens de camaraderies (Gustave Hervé, Charles Malato, Saumon – homme de L’Endehors et l’homme le plus heureux en détention –, Maxime Réal del Sarte ou encore Drumont, sensible aux thèses des anarchistes sceptiques…). (147)

    Si malgré tout la paillasse des prisons a du bon – « Quant à moi, mon amélioration (but suprême de mon incarcération) s’effectue avec une rapidité vertigineuse. Je me sens déjà un tout autre homme (déjà !). Quel noir scélérat j’étais avant ! – Ma perversité n’a pas encore été entamée religieusement. Mais cela ne tardera pas. En sortant je serai une vertu. » (148) –, Cohen pensait certainement que d’autres auraient mérité d’être, à sa place, logés à cette enseigne. Ne serait-il pas amené à écrire à propos de ses confrères et de l’art de manier les mots : « Pourquoi n’existe-t-il pas de peine – cinq ans de maison d’arrêt, avec privation de papier et de crayon, et prison à vie en cas de récidive – contre ceux qui massacrent une langue belle et riche alors qu’il en existe une contre ceux qui noient délibérément un souteneur ou un tueur de chats ? Il est vrai qu’alors, 98 pour cent des journalistes et 87% des gens de lettres hollandais se retrouveraient dans une maison de force. Ce dont je ne m’apitoierais pas... » (149)

    Pour Alexandre Cohen, les dernières années du XIXe siècle sont significatives d’évolution vers d’autres horizons politiques. Il demeure un farouche individualiste et le rebelle qu’il ne cessera jamais d’être ; toutefois, il ne se range plus avec la même ferveur sous la bannière anarchiste. Les petits textes et aphorismes contenus dans De Paradox témoignent de cette distanciation. Alexandre Cohen traverse alors sa période de scepticisme. Il passe surtout ces dernières années en Hollande avant de rejoindre, courant 1899, sa terre d’élection, la France. Adolescent invétéré, il entre dans « l’âge adulte » alors qu’il lui reste encore plus de soixante années à vivre. Une fois les plus grosses vagues de l’affaire Dreyfus passées, Alexandre Cohen se saisira d’un nouveau flambeau : pendant cinquante-cinq ans, il sera l’un des royalistes les plus convaincus de France, l’un des plus méconnus aussi, un homme tel en quelque sorte que celui auquel songeait Georges Bernanos quand il écrivait : « L’effort désintéressé d’un homme pour comprendre la France est un acte qui va bien au-delà de la simple littérature et qui a, à mes yeux, un caractère sacré, presque religieux. » (150)

    À propos des anarchistes ayant décidé de ne pas comparaître au Procès des Trente, André Salmon, qui fait la connaissance de Cohen bien des décennies plus tard, à Toulon, salue les qualités de ce Hollandais devenu un Français pas comme les autres : « Parmi ces défaillants se trouvait un écrivain de qualité qui, en plus de favorables circonstances, eût pris dignement place au côté de Félix Fénéon. Il devait avoir environ trente ans quand il refusait de répondre à l’appel du procureur général Bulot. Anarchiste, il n’aura guère commis que des délits de plume, mais éclatants. Aux pages du Père Peinard, à l’occasion du Procès des Trente, Émile Pouget écrit de lui que c’est ‘‘un bon fiston’’.

    » Je parle ici d’Alexandre Cohen qu’en ma jeunesse je me désolais de ne jamais rencontrer au Mercure de France où, d’origine batave, il tenait la rubrique des lettres néerlandaises. Oui, j’ai vivement désiré connaître cet auteur, l’un des premiers à figurer au catalogue saumon des éditions de la revue mauve.

    » À vingt ans, soldat aux Indes, un peu plus longuement qu’Arthur Rimbaud, prompt déserteur, Alexandre Cohen supporta l’ennui des servitudes militaires en découvrant Multatuli, philosophe local, Tolstoï de couleur, Gandhi d’avant Gandhi. Il le traduisit en hollandais et en français. Aux environs de 1905, nous fûmes plusieurs sur la rive gauche à estimer Multatuli, en accordant bien de la sympathie à son traducteur.

    » Il m’aura fallu atteindre cet âge qu’on peut dire avancé, pour connaître enfin Alexandre Cohen. C’est quand, depuis bien des années, il a cessé de croire aux possibilités du mouvement libertaire. Il est, en quelque sorte, passé de l’outre-gauche à l’outre-droite ; ce qui trouverait sans trop de peine sa justification. Mais Alexandre Cohen, aujourd’hui mon voisin de Provence, demeure, avec son admirable compagne, fidèle à l’amitié et respectueux du ‘‘très beau mythe’’.

    » Il m’a comblé de ses souvenirs. Je veux lui en dire ici merci. » (151) Merci Sandro.

     

    Daniel Cunin

     

    Cohen1957.jpg

    Alexandre Cohen, juillet 1957, Toulon, photo Henk Kuijper (DBNL)

     

    (136) Interview de Cohen par M. E. d’Arbourg, journaliste de La Patrie, repris dans Louise Michel, op. cit., p. 229-232. Précisons que le séjour londonien de Cohen et son retour aux Pays-Bas ont fait l’objet d’un article : R. Spoor, « Alexandre Cohen in Londen en Den Haag », Maatstaf, XXXI, 1983, n° 5, p. 70-80.

    (137) A. Cohen, op. cit., 1961, p. 33-40.

    (138) Zo d’Axa était maître dans l’art de préparer les macaroni, mais très maladroit avec les enfants, en particulier avec sa fille. Cohen raconte par ailleurs une anecdote hilarante à propos de bottes que Zo d’Axa avait achetées mais qu’il ne parvenait plus à retirer (Ibid., p. 49-51).

    (139) Ibid., p. 31.

    (140) Ibid., p. 31-32.

    (141) Lettre à F. Domela Nieuwenhuis, 2 juin 1894.

    (142) A. Cohen, De Paradox, p. 96.

    alexandre cohen,emile henry,anarchisme,londres(143) A. Cohen avait pris soin de préparer son retour en France en rendant visite à Londres au « Vieux Sagittaire », Henri Rochefort, lequel publia un article dès que Cohen fut détenu à la Conciergerie. Avant d’aller se livrer à la police, Alexandre et Kaya passèrent une nuit dans la chambre d’un bordel – les amis chez qui ils espéraient loger avaient trop peur de les garder sous leur toit –, une matinée au Louvre et un après-midi au Luxembourg, histoire de jouir un peu de ces moments de liberté. Ensuite, ils sollicitèrent Eugène Fournière – lequel ne partageait pas du tout les idées de Cohen, mais les deux hommes s’étaient souvent rencontrés et s’appréciaient – et grâce à lui, il purent être logés quelques jours chez Henri Turot, lui aussi rédacteur à La Petite République, le temps pour Kaya de prévenir des rédactions. Grâce à Fournière aussi, Cohen se fit conduire au Palais de Justice par le député Eugène Baudin (A. Cohen, op. cit., 1961, p. 54-59).

    (144) Voir à ce propos l’article de R. Spoor, « De gevangenisbrieven van Alexandre Cohen », Op een beteren weg, schetsen uit de geschiedenis van de arbeidersbeweging aangeboden aan mevrouw dr. J. M. Welcker, Van Gennep, Amsterdam, 1985, p. 126-139.

    (145) Th. de Banville, op. cit., p. 259-266 et p. 446-453.

    (146) A. Cohen, De Paradox, nouvelle série, p. 1.

    (147) A. Cohen, op. cité., 1976, p. 182-187.

    (148) Lettre à Kaya, 16 août 1896.

    (149) Lettre à W. van Ravesteyn, 11 octobre 1933.

    (150) G. Bernanos, La vocation spirituelle de la France, Plon, Paris, 1975, p. 71.

    (151) André Salmon, La Terreur noire, vol. 2, p. 153-154, 10/18. A. Cohen n’a certes pas traduit Multatuli en hollandais ; ce dernier n’était pas un homme de couleur.

     

    alexandre cohen,emile henry,anarchisme,londres

     

     

     

     

  • Anatole France à propos de Multatuli

    Pin it!

     

    La préface aux Pages choisies de Multatuli

     

     

    Anatole France

    multatuli,anatole france,alexandre cohen,mercure de franceEn 1901, la Société du Mercure de France publie un volume de textes de l’un des auteurs les plus marquants du XIXe siècle néerlandais, Multatuli (pseudonyme d’Eduard Douwes Dekker, 1820-1887), dans une traduction d’Alexandre Cohen, alors critique au Mercure de France. Dans ce même périodique, Henri de Régnier écrit à propos de cet ouvrage : « M. Anatole France qui sait écrire un livre, sait aussi écrire une préface. Il en a composé de charmantes et celle qui précède l’édition en cinq volumes des œuvres de Jean Racine (Lemerre, 1869) est admirable. De même, les quelques pages où il nous présente aujourd’hui la traduction que M. Alexandre Cohen nous offre de Multatuli sont précises, élégantes et judicieuses. Au préambule magistral de M. Anatole France, M. Cohen ajoute d’intéressants détails sur la vie et l’œuvre de l’Essayiste Hollandais. Nous voici donc doublement avertis de goûter un écrivain nouveau pour nous, d’autant mieux que tout ce que nous savons de lui commande l’estime. Nul doute en effet qu’Eduard Douwes Dekker n’ait été un honnête homme et un libre esprit. Avant d’être un auteur franc et hardi, Multatuli fut un fonctionnaire probe et juste. Résident aux îles Moluques et à Java, il dénonça les abus du pouvoir colonial et n’ayant pu obtenir satisfaction du gouvernement, il en appela à l’opinion publique dans son roman de Max Havelaar. M. Cohen nous analyse la substance de ce livre qui valut à son auteur de puissantes et longues rancunes. Dès lors, Multatuli ne cessa de poursuivre dans ses écrits les divers préjugés moraux et sociaux de son temps et de son pays. Il y employa des armes diverses, l’invective et l’ironie, la fiction et l’apologue, la maxime et l’épigramme. Une pareille attitude a droit au respect et M. Alexandre Cohen a bien fait de nous aider à connaître Multatuli en nous permettant de le lire, sinon dans son entier au moins en ses endroits principaux et les plus caractéristiques. » (« Littérature. Multatuli : Pages choisies, traduites par M. Alexandre Cohen, préface d’Anatole France », Mercure de France, août 1901, p. 493-494).

    Nous reproduisons ci-dessous la préface écrite par Anatole France (p. 5-8) en l’accompagnant de la table des matières de ce livre de 358 pages. Dans une longue notice (p. 9-57), Alexandre Cohen présente « le milieu réfractaire où se débattit le génie de l’auteur ». Les Pages Choisies ont connu au moins une réédition (1902). Il convient de ne pas les confondre avec cette autre édition : Multatuli, Pages choisies, choix, présentation et traduction du néerlandais par Lode Roelandt, avec la collaboration de Alzir Hella, préface de Henry Poulaille, notice biographique de Julius Pée, Bruxelles/Paris, Labor, 1938 (réédition, Paris, Office français du livre, 1943). 

    multatuli,anatole france,alexandre cohen,mercure de france,henri de régnier

     

     

    PRÉFACE

     

    Eduard Douwes Dekker, Hollandais, qui occupa longtemps à Java un emploi dans l’administration coloniale, publia, sous le nom de Multatuli, lors de son retour dans son pays, un roman, Max Havelaar, dans lequel il révéla les abus de l’autorité coloniale dans les Indes néerlandaises. M. Alexandre Cohen, compatriote de Multatuli, a, comme lui vécu à Java. Il était donc particulièrement capable de nous faire connaître Multatuli et son œuvre. C’est à quoi il s’est appliqué dans le présent livre, que j’ai le plaisir de présenter aux lecteurs et qui contient une étude sur la vie de Dekker et une traduction française de morceaux choisis dans l’œuvre de cet écrivain.

    Multaluli n’est pas seulement l’auteur de Max Havelaar. Il a laissé beaucoup d’écrits sur la politique et la morale, sur les affaires et les mœurs des Hollandais. M. Alexandre Cohen, qui est un esprit très indépendant, ne prend point et ne nous donne point la pensée de Multatuli comme un corps de doctrine, et il n’impose cette pensée ni à lui ni à nous. Il m’a même averti que, soucieux avant tout de faire connaître son auteur, il a choisi non pas les endroits par lesquels il lui semblait que Multatuli lui ressemblât le plus, mais les endroits ou Multatuli ressemblait le plus à lui-même. Les traducteurs et les anthologistes ont d’ordinaire moins de désintéressement. Ils ne trouvent leur auteur tout à fait agréable que s’il leur ressemble un peu.

    Ce par quoi Multatuli a charmé M. Alexandre Cohen, c’est son entière franchise et sa parfaite sincérité. Multatuli est un écrivain très extraordinaire : il dit ce qu’il pense. Il s’en trouve fort peu de cette sorte en Hollande et ailleurs. En tous pays, de tout temps, le nombre des hommes qui pensent est petit ; le nombre de ceux qui osent dire ce qu’ils osent penser est moindre. Ils n’y sont nulle part encouragés. La franchise est la moins sociable des vertus.

    Multatuli est enclin à rechercher l’origine des idées les plus communément acceptées et ces recherches le mettent souvent sur la voie de découvertes inattendues et précieuses. C’est ainsi qu’il a cru s’apercevoir que les vertus classées avaient toutes ou presque toutes un caractère essentiellement économique. Mais c’est ce qu’il faut lui laisser dire à lui-même. Il a dans le pessimisme une jovialité charmante et rien n’est plus divertissant que son amère bonne humeur.

    Ce Hollandais qui écrivait de 1859 à 1887 a un peu la manière d’un Français du XVIIIe siècle. Il rappelle nos philosophes d’avant la Révolution, par l’audace des idées, la liberté de l’esprit, la vivacité de l’expression, et par une bienveillante ironie. Il se moque des « dominés » presque aussi gaiement qu’ils raillaient les Jésuites et les Capucins. Il a, comme eux, le goût des contes orientaux. Quelques-uns de ses apologues sont aussi aimables que ceux de l’abbé Blanchet. De même que nos philosophes faisaient volontiers des dialogues avec des Chinois ou des Brahmanes, il se plaît à des conversations morales avec des Japonais. On est tenté de dire de telle page écrite par lui que c’est du Voltaire hollandais, j’entends du Voltaire peut-être un peu rude pour nous, mais non sans saveur.

    Sans connaître leur littérature, sans lire un mot de leur langue, nous savions que les Hollandais furent excellents dans la poésie comique et dans la satire. Leurs peintres nous l’avaient bien fait voir : Terborch, Pieter de Hooch, et Van der Meer de Delft sont d’excellents moralistes. Jan Steen est un Molière en son genre.

    On peut dire que Multatuli, que M. Alexandre Cohen nous révèle, est comme eux, mais avec la plume, un peintre spirituel et franc de l’homme et de la société.

    Anatole France

     

     

    multatuli,anatole france,alexandre cohen,mercure de france

    Multatuli, een zelfportret: het leven van Eduard Douwes Dekker, door Multatuli verteld, (Multatuli, un autoportrait : la vie d’Eduard Douwes Dekker racontée par Multatuli), Amsterdam, Bert Bakker, 2010

     

     

    Table des matières

    Préface (5)

    Notice (9)

     

    Lettres d’amour 1861

    Légendes d’autorité (61)

    Un jugement exemplaire (86)

    Crucifiement (89)

    Amour du mensonge (103)

    L’impresario (106)

     

    Idées 1862-1874

    Panification et immoralité (111)

    Une leçon de morale (113)

    Pygmée (115)

    Décomposition (118)

    Economie politique (124)

    Humour (128)

    Morale samoyède (135)

    Pontonniers superflus (137)

    Pas dans le programme (139)

    Ornis (140)

    Salut et ressemelage (144)

    De la loyauté en politique (146)

    Das komt vom lesen (150)

    Chez les amis (150)

    Un souvenir de Napoléon (167)

    Socrate (172)

    Le quartier juif d’Amsterdam (175)

    Dom Alonzo Ramirez (183)

     

    Les spécialités 1872

    Une définition (193)

    Du parlementarisme (195)

     

    Essais millionesques 1873

    Tombé des nues (225)

    Microcosme (235)

    Vieux-Delft (245)

    Dans la salle de jeu (255)

    Amourettes fluviales (288)

     

    Divers

    Jurisprudence (297)

    Je ne sais pas ou je mourrai (299)

    Faut-il écrire ? (302)

    Taxation d’hommes (308)

    Le dialogue japonais (312)

    Une démonstration (347)

     

    multatuli,anatole france,alexandre cohen,mercure de france,henri de régnier

    annonce de la parution des Pages choisies,

    Journal des débats politiques et littéraires, 23/04/1901, p. 3